HistoireJanvier 2453. Un souffle. Les pleurs d'un enfant. Toute l'assemblée là pour apporter son soutien à la mère pleure de joie. Les deux derniers enfants du groupe sont morts nés. Une tragédie pour les parents. Chaque nouveau né allait être célébré après la venue d'Eiven. Une étincelle de vie, d'espoir. Les larmes ruissellent sur les joues des nouveaux parents. Elles perleront tout autant trois ans plus tard pour la naissance de Liesel.
La récolte, la cuisine et la couture n'étaient pas les activités qui captivaient Eiven. Cette dernière, âgée de seulement cinq ans, partait avec un ami de ses parents. Il avait un fils qu'il amenait également avec lui. La chasse : c'était ce qui les passionnait. C'était ce qui la passionnait.
Le fait de porter le coup fatal à la bête n'était pas ce qu'Eiven appréciait. Bien au contraire, elle tuait avec une déférence étonnante pour une jeune fille habituée à vivre de chasse depuis son plus jeune âge. Ce pour quoi elle excellait, c'était dans le pistage. Retracer le parcours des bêtes, savoir de quelle bête il s'agissait, voilà qui se révèle être un jeu d'enfant pour Eiven. Pour chaque animal qu'elle tue, la native vient poser sa main sur le cœur de la bête et observe un instant de silence, remerciant celle-ci d'apporter de la nourriture aux siens.
Eiven a toujours été secrète. Une enfant discrète, solitaire, souvent fermée sur elle-même. Ses parents étaient incapables de savoir si elle allait bien ou non. Cette fermeture émotionnelle n'avait pas de grande raison d'être. Ils s'en étaient accommodés, se disant qu'elle était assez intelligente pour leur parler si jamais quelque chose lui pesait sur le cœur. Son côté vagabond esseulé l'éloignait souvent du camp. Son partenaire de chasse n'hésitait pas à la suivre impunément, se faisant rembarrer dès lors qu'elle remarquait sa présence. Il était discret, mais Eiven a toujours su se fier à son instinct pour sentir sa présence.
Des présences, Eiven parvenait aisément à en déceler. Notamment celle de sa sœur. Pour une raison qu'elle ne s'était jamais expliqué auparavant, Liesel lui apparaissait différemment que les autres personnes. Elle mettait cela sur le compte de leur lien fraternel. Jusqu'au jour où elle comprit de quoi il s'agissait... Des inconnus rôdaient autour du campement. Eiven s'était éloignée pour trouver du gibier. Un peu trop éloignée peut-être. Sauf que si la chasseresse était restée plus près du camp, elle n'aurait sans doute pas entendu ce cri strident qu'émit sa sœur. Sans attendre, Eiven se précipita pour voir ce qu'il en était. En quelques longues minutes, elle atteignit le lieu d'où provenait le bruit. Personne ne s'y trouvait. Aucune âme qui vive. Eiven remonta la piste, les suivants de loin, prenant du retard sur eux. Elle finit par trouver un campement de fortune, au-delà des reliefs qui la séparaient maintenant de son camp à elle. La nuit tombait doucement, l'air se rafraîchissait dangereusement. Liesel était parmi eux. L'aînée guetta, observa de longues instants. Peu lui importait le risque, la solitude et le froid. Après que l'obscurité ait envahi le ciel, les lanternes se mirent à vaciller dans le camp. Malgré sa discrétion, Eiven finit par se faire prendre.
Un bruit derrière elle, volte-face et la voici dans les mains des truands. Elle ne savait pas ce qui l'attendait, ni ce qui attendait sa sœur. Imaginant le pire, Eiven pensait à des anthropophages. Emmenée sous la lumière du camp, la rôdeuse décela cette sensation particulière que lui évoquait sa sœur. Deux d'entre eux avaient ce halo auquel Eiven était sensible. Mais pourquoi ?
« Tu les vois... » Chuchota sa sœur une fois emmenée sous la même tente qu'elle, attachée. Elles étaient différente. Ils étaient différents. Quelque chose les rendaient différents. Liesel lui paraissait mal au point. Que lui avaient-ils fait ? Trois jours passèrent. Laissant ces questionnements sur la situation et elles-mêmes, Eiven œuvra pour les faire sortir de là. Usant de ruse et de son observation précédente, sans compter l'appui de Liesel, elle leur permit une fuite qui n'éveilla que trop tard les soupçons de leurs ravisseurs. Lorsqu'ils les prirent en chasse, le groupe des Hadler était déjà entrain de rechercher les deux jeunes filles. Lorsqu'elles furent retrouvées, les inconnus - bien mois nombreux qu'eux - abandonnèrent leur entreprise. Le groupe organisa des gardes soutenues et leva le camp à l'aube.
Le voyage faisait partie de leur mode de vie. Rarement au même endroit plus d'un mois. Les coins tranquilles étaient plus rares qu'il n'y paraît. Bien d'étranges personnes vagabondaient dans les terres désolées de ce monde.
Personne n'y est vraiment à l'abri. Eiven ne comprenait pas pourquoi l'homme était un loup pour l'homme. C'est une chose qu'elle n'apprit qu'avec le temps, en rencontrant ces étrangers. Ils étaient un danger pour elle tout comme elle était un danger pour eux : impossible de réellement faire confiance à qui que ce soit.
Le train de vie d'Eiven était sans encombres hormis cet enlèvement qui avait traumatisé Liesel. Depuis ce jour, leurs parents n'avaient de cesse de leur répéter que quoi qu'il arrive à l'avenir : elles devraient veiller l'une sur l'autre, rester unies. Eiven ne lâchait jamais bien longtemps Liesel des yeux. Jusqu'à ce jour où leur avenir fut corrompu : des hommes assoiffés de violence vinrent s'attaquer à leur bivouac. Cela faisait bien deux jours que le groupe s'était installé ici. Marchant vers Helion, ils s'étaient accordés une pause bien méritée. Eiven entend encore les cri, voit encore le sang absorbé par le sable. Dans la cohue, elle vit son partenaire de chasse s'éloigner, sans savoir ce qui lui arrivait. Eiven, genoux à terre, se focalisa sur sa respiration. Lente. Inspiration. Expiration. Toute la scène paraissait se dérouler au ralenti. Liesel... Sa tête tournait, balayant du regard le terrain. Liesel. Elle courait au loin vers les arbres. Elle s'enfuyait. Eiven se releva pour lui courir après mais un violent coup sur la tête l'assomma. Inconsciente, ce n'est qu'au lendemain qu'elle se réveilla. Seule. Des voix inconnues retentissant à l'extérieur de l'abri où elle était allongée.
Loin de sa famille, de ceux qu'elle connaissait, Eiven fut prise d'une panique qui ne passa pas inaperçue. Après de multiples coups, elle finit par cesser de geindre. Mains liées, Eiven fut amenée à côté de son partenaire de chasse. Lui aussi s'était fait capturer. Pourquoi ne les tuaient-ils pas ? La question resta silencieuse. Ils étaient perpétuellement surveillés. Cette fois, il n'y aurait pas d'échappatoire possible. Pour aller où de toute façon ? Ils se vantèrent d'avoir massacré les autres personnes. Penser à Liesel lui serrait le cœur. Avait-elle réussi à fuir ?
Elle l'avait abandonnée... partie sans faire attention à ce qui pourrait advenir d'Eiven. La colère habitait la jeune femme. Ce qui lui permettait, finalement, de garder un certain sang froid au final. Bien qu'elle menaçait d'exploser à chaque réflexion émise par les vauriens, Eiven gardait la maîtrise d'elle-même. Ils parlaient d'Helion. Là où son groupe se dirigeait. Là où Liesel s'était certainement dirigée. C'était la clé : la retrouver au dôme. Si tant est qu'il existe...
« T'es une native toi, hein ? » Elle haussa les épaules, se demandant ce que ça pouvait bien lui faire.
« Des gens sont prêts à offrir beaucoup pour des gens comme toi chérie. » Eiven ne comprenait guère les desseins de ces hommes. Ils comptaient les échanger ? À qui ? Contre quoi ?
Plusieurs jours après, les pièces du puzzle s'assemblèrent. Le dôme apparu. Dominant les environs comme le maître des lieux. L'espoir renaissait dans le cœur d'Eiven. Mais aux abords du dôme, ce n'est pas une porte qu'ils virent : des gardes. Uniforme épais, armes à feu, ils n'étaient pas amicaux. Une conversation eu lieu entre le chef du groupe et celui des gardes. Se rapprochant de son ami, Eiven avait un mauvais présentement. Les regards se tournèrent vers eux. L'adrénaline commençait à monter dans les veines d'Eiven. Ça allait mal tourner...
Et ça tourna mal. Un ordre lancé par le chef des gardes et une bataille fit rage. Opposant les deux groupes. Eiven sentit son ami la pousser au sol. Il fut relever et se débattit. Eiven hurla son nom mais bientôt dans le tumulte, on vint s'occuper de son cas. Relevée de force, elle se débattit alors que les autres s'entre-tuaient. Son ami se défit de l'étreinte du garde. Eiven lui hurla de fuir, tentant d'occuper comme elle pouvait les gardes pour qu'ils ne le pourchassent pas. Finalement neutralisée, Eiven tomba inconsciente et fut amenée à Reiver.
Se réveiller dans des lieux inconnus allait devenir une nouvelle habitude... Bien mauvaise et déplaisante. Une panique la saisit avant que l'étrangeté des lieux ne la rendent perplexe. Des murs de pierres, un lit à lattes en grillage, une très faible lumière qui passait par les interstices d'une porte. Eiven vint frapper sur cette porte avec les dernières forces qui lui restaient. Ce n'est qu'une demi-heure après qu'on commença à s'intéresser à sa cellule. Un homme silencieux vint lui ouvrir, la prit par le bras et la traîna dans un long couloir sombre.
Eiven tentait de se rebeller mais rien n'y faisait, il la tenait avec fermeté. La native fut lancée sur une chaise devant une table dans une pièce isolée. Un autre homme arriva et lui posa tout un tas de questions. Son nom, sa famille, d'où elle venait, combien de temps avait-elle passé à l'extérieur, ce qu'elle savait sur les hommes qui l'avaient amenée à eux, etc. Ne sachant pas à qui elle avait à faire, Eiven ne répondit pas. Ils usèrent de force, plongeant sa tête dans de l'eau, la balançant dans sa cellule en la privant de nourriture. Trois jours passèrent. Au quatrième jour, ce ne fut pas dans une salle qu'elle fut emmenée pour être interrogée. Elle fut conduite dans les étages jusqu'à un bureau bien moins austère que le sous-sol. Eiven y resta de longues minutes, mains liées, assise sur une chaise.
À observer l'endroit où elle se trouvait en détail, la jeune femme ne vit pas vraiment ces minutes passer. Lorsque soudain, un homme entra. Droit, froid, silencieux. Il avait cette aura que portait Liesel. Que portaient de rares rencontres qu'Eiven avait faite. C'était un humain évolué. L'homme s'assit derrière le bureau où étaient éparpillés des documents. Il finit par la toiser d'un regard perçant avant de se relever et s'approcher d'elle.
En ces lieux, Eiven avait déjà compris depuis longtemps qu'elle était la proie et eux les prédateurs. Ne pas ciller, ne pas bouger. Elle s'efforça de rester impassible. Quand il arriva à sa hauteur, Eiven se leva et s'éloigna, le fuyant comme s'il portait une maladie.
« Ne me touchez pas. » Il la regarda, interrogateur.
« Je sais ce que vous êtes. Je me méfie des personnes comme vous. » Sa curiosité semblait piquée.
« Ce que je suis ? Des personnes comme moi ? » Mais dans ses yeux se lisait la réponse qu'il avait devinée : elle était de ces gens.
« Tu le vois ? Comment peux-tu le voir ? » Son air paraissait sérieux, grave.
Comme si elle n'était pas censée le savoir. Elle n'était pas censé le savoir. Il la renvoya dans sa cellule où Eiven resta deux jours de plus. Nourrie et sans que personne ne vienne l'interroger. Après ces jours isolées, s'ouvrit la porte sur cet homme qu'elle avait rencontré. Il lui expliqua où elle se trouvait, qui il était et ce qu'ils étaient, eux deux, aux yeux des autres : un mythe qui devait rester à l'état de légende. Pour éviter la panique, les perturbations. Eiven était loin de comprendre tous les enjeux qui étaient soulevés dans ces propos, bien trop éloignée de ces problématiques. Tout ce qui comptait à ses yeux, c'était de rejoindre Helion pour y retrouver Liesel.
Mais le Commandant Wernher lui assura que sans son accord à lui, elle ne quitterait jamais Reiver.
« De toute façon, tu serais incapable de réussir les épreuves d'admission. Tout ce que je peux te proposer, c'est de rester ici. Tu entres à mon service et quand tu seras prête, alors peut-être que je donnerai mon accord pour que tu te jettes dans la gueule du loup. » Le seul loup qu'elle voyait, c'était lui. Après tout, Helion ne pouvait qu'être un havre de paix où enfin elle pourrait écouler des jours tranquilles... Mais était-ce vraiment ce qu'elle voulait ?
Eiven accepta le deal de Wernher, ignorant pourquoi il la retenait ici alors que la mission de Reiver était de fournir des natifs au dôme. Au fond d'elle, Eiven se doute qu'il y a anguille sous roche. Mais elle préfère ne pas en parler directement. Le Commandant fit d'elle son assistante. Loin d'avoir la moindre responsabilité et se contentant de le suivre pour le servir. Eiven fut difficilement acceptée par les autres réfugiés de Reiver. Beaucoup la regardent comme une paria, une étrangère qui attend le bon moment pour les poignarder, leur faire du mal. Un caprice du commandant qui finira de toute façon par se faner et alors il la jettera dehors. Eiven prend sur elle, ne voyant qu'une chose : la promesse de l'ouverture des portes d'Helion afin d'y rejoindre Liesel.