HistoirePrologue
Elle avait creusé longtemps. Jusqu’à ne plus faire attention à la lueur du jour, ni au froid et à la douleur qui engourdissaient ses membres. Rejetant ses mèches brunes, la jeune femme avait continué sans relâche, jusqu’à ce que son trou commençât à prendre forme, jusqu’à ce qu’il fût assez profond pour qu’il remplisse la tâche qu’Aimah lui avait assigné.
Cette maudite tâche…
Est-ce qu’elle avait bien fait d’espérer ? Est qu’elle aurait dû plutôt renoncer dès le commencement ? La jeune femme ne savait plus, n’arrivait pas à s’établir des repères ou discerner ce qui aurait été meilleur pour elle et pour sa mère. Elle avait vraiment cru pourtant… A commencer par le moment où les portes d’Helion s’était refermé sur les pas de son père. C’avait été son premier espoir. La caresse d’un jour meilleur, car Aimah était persuadée que celui qu’elle aimait tant les ferait finalement entrer dans le Dôme. Pour sa mère aussi, ç’avait été une grande espérance… La jeune femme la revoyait encore, les yeux rivés vers le majestueux refuge, comme s’il était rempli de promesses bienfaitrices. Alors elles avaient attendu. Attendu encore. Et puis, la déception s’était peu à peu installée. Le doute avait d’abord fait sa demeure, puis l’anxiété et enfin, comme une ronce faisant son lit, la déception amère de quelqu’un qui avait trop espéré était née elle aussi. L’homme qu’elles attendaient n’était pas venu. Et pour sa mère, ç’avait été un coup de grâce qu’Aimah n’avait pu soigner, pas même retenir.
Sa mère…
Un instant, les mains d’Aimah s’immobilisèrent et la jeune femme s’aperçut que celle-ci tremblait. Etait-ce à cause de son émotion ou du froid qui l’entourait ? Les deux peut-être. Lentement, la brunette s’efforça d’inspirer l’air glacial de cette matinée pluvieuse, et refoula avec difficulté le surplus d’émotions qui l’envahissait. Elle ne pouvait pas se laisser avoir par l’abattement. Pas maintenant. Elle devait terminer ce maudit trou… Bouger ensuite, se trouver à manger, survivre… Et ne pas réfléchir. Elle pleurerait plus tard. Maintenant qu’elle était seule, elle avait tout le temps pour cela.
D’un geste de la tête, Aimah repoussa cette pensée cynique et se replongea dans la terre devenue boueuse, dans les cailloux qu’elle rejetait au fur et à mesure, et dans le silence de la forêt - plutôt dans le pépiement discret des oiseaux -, la native termina difficilement sa tâche. Elle avait pensé un instant à faire du feu. Mais il pleuvait déjà depuis deux jours, et faire un bûcher sur du bois mouillé n’allait pas s’avérer des plus faciles, même pour la jeune femme qui avait vécu depuis longtemps dans la nature. Ankylosée, Aimah se releva, puis réussit, elle ne sut comment, à mettre enfin le corps dans le trou qu’elle avait confectionné. Celui de sa génitrice, de sa mère, de celle qui avait tout espéré, et qui avait finalement tout perdu. Même sa vie… Les yeux hagards, Aimah laissa un instant son visage dériver vers la direction du Dôme, pour les laisser ensuite revenir sur sa défunte mère. Pouvait-elle encore dire qu’elle avait une famille ? Son père était loin, elle ne savait même pas s’il était en vie. Et celle qui comptait le plus aux yeux de la jeune femme n’avait plus eu la force de lutter après c qu’elle avait pris pour un abandon.
Silencieusement, elle avait rebouché la tombe. La jeune femme avait décidé d’y mettre le rejeton d’un arbre, un magnolia, même si elle n’avait aucune idée s’il prendrait racine ou non. Elle n’avait pas le pouvoir de faire pousser les plantes après tout. Mais sa mère affectionnait particulièrement la nature, sa fille pouvait bien lui faire un dernier hommage.
Et puis, elle était partie. Les yeux secs, épuisée, la jeune femme s’était efforcée de survivre d’abord de manière précaire, puis de manière un peu plus stable selon la chasse qu’elle pouvait attraper au jour le jour. Maintenant du temps était passé, et la jeune femme dut un jour se résigner à s’abriter sous l’épais feuillage d’un chêne qui devait bien être centenaire. Elle avait écouté la pluie, d’abord. Puis, de fil en aiguille, son regard s’était posé sur Helion, et son regard s’était fait plus nostalgique.
Souvenirs…
***
Chapitre I : Enfance
Ses parents lui avaient très tôt raconter des histoire sur le Dôme. A ses yeux d’enfant, ç’avait été d’abord un lieu magique. Un endroit où aucune bête méchante n’entrait – parce qu’il y en avait, des vilaines créatures, surtout la nuit, et ça lui faisait peur, peur, peur. Helion, par contre, c’était un endroit où il n’y en avait pas ! Et ça, pour la gamine, c’était juste merveilleux. Puis, le récit de ses parents l’avait poussée à croire en ce lieu rassurant, ce lieu protecteur, où enfin, ils ne seraient plus en danger. Tout du moins le prenait-elle comme ça. Aussi, quand elle eut l’âge de cinq ans, voir pour la première fois l’ombre prometteuse du Dôme avait mis un espoir en son coeur, un baume rassurant sur ses espérances. Peut-être parviendraient-ils à trouver maintenant un refuge sûr. Et ainsi, ses parents se fatigueraient sans doute moins. Elle les avait parfois vus discutés à voix basse, au coin d’un feu, lorsqu’ils la pensaient endormis. La fillette aimait les fixer à la lueur des flammes, cela leur donnait un aspect qu’ils n’avaient jamais durant le jour. Souvent, elle avait remarqué les traits tirés de ses parents, lors longues discussions durant la nuit où Aimah avait finalement fini par décrocher de la conversation pour s’endormir. Sage, elle s’était laissée aller dans l’ombre proctectrice de ses parents.
Ils trouveraient une solution pour entrer.
Sûrement.
***
C’était avec des grands coups de bras encourageants que la petite avait salué son père une dernière fois. Avec l’innocence propre aux enfants, l’insouciance de ces derniers, elle avait regardé son géniteur s’éloigner d’abord avec un grand sourire qui avait principalement pour but de cacher toutes les larmes qu’elle avait envie de laisser couler. Ca lui serrait le coeur de voir son héros s’éloigner. Elle voulait courir le rejoindre, le serrer encore une fois pour lui redire la tonne d’encouragements – et aussi la tonnes de questions – qu’elle lui avait déjà posé, mais sa mère la tenait dans ses bras, bien à l’abri de yeux indésirables. Rapidement, son père avait rétréci a vue d’oeil avant de devenir un point au fur et à mesure qu’il se rapprochait du Dôme, comme s’il y était englouti. Cela avait attiré un frisson de la fillette, qui avait effacé promptement cette pensée néfaste de son nesprit. Si son père lui avait bien expliqué, il avait trouvé un moyen de passer, et ensuite, il viendrait leur ouvrir à elles aussi. Alors il réussirait ! Son père était le plus fort après tout.
Il ne les laisserait certainement pas toutes seules.
***
Chapitre II – Attente
Les premiers temps, c’était l’espoir qui avait régné. L’espérance à l’état pur, la confiance aussi, car dans ses souvenirs, sa mère n’avait au départ par douté de la volonté de son père. Inquiète, elle l’était ; nerveuse, elle l’était aussi, mais Aimah se rappelait bien son air rivé sur le Dôme et ses promesses. Comme si son père allait surgir et leur ouvrir les portes d’Helion comme par magie.
L’enfant y avait cru, elle aussi, mais faute de mesurer tous les dangers auxquels se mesuraient ses parents, elle avait toujours été plus tranquille quant au retour de son père. Tranquille mais impatiente : elle le guettait des yeux, recherchait sa silhouette, attendait son apparition inopinée comme s’il allait surgir par magie. A ses yeux, c’était une évidence. Il allait revenir. Juste, quand il saurait. Il devait genre, leur préparer une maison. Ou se faire des amis pour l’aider dans ses problèmes. La petite ne savait pas, mais elle avait confiance, et la gamine n’hésitait pas à lui attribuer toutes sortes d’excuses, simplement parce qu’un non-retour de son père était inenvisageable.
La survie, aussi, les poussa toutes les deux à penser à autre chose. Ce fut dès son plus jeune âge qu’Aimah apprit à dénicher de la nourriture, même dans les endroits les plus inopportuns ; qu’elle apprit, sur les conseils de sa mère, à distinguer les plantes médicinales des plantes vénéneuses. Sa génitrice avait beau être impatiente de rejoindre Helion, elle préférait transmettre son savoir à sa fille. Ce fut aussi par son intermédiaire qu’elle apprit à faire la couture, moyennant les outils nécessaires et à utiliser un maximum de choses que la nature leur offrait. Aimah ne reste pas moins victime que les autres survivants des aléas de la nature, mais c’est véritablement à l’extérieur que dans le Dôme qu’elle a vécu.
Puis, au bout de longues années d’attente, survint progressivement la désillusion. Le déni d’abord, puis le désespoir, au moins pour ce qui concerna sa mère. Aimah préférait penser qu’il était toujours vivant, qu’il avait des problèmes, qu’il ne les avait pas oubliées, mais le poids du temps se faisait sentir. Ses arguments, autrefois sûrs, manquaient maintenant de poids, et impuissante, elle vit progressivement sa mère dépérir. Le plus dur fut sans doute d’être un spectateur qui ne pouvait rien faire pour l’aider, encore moins quand sa génitrice broyait du noir et se replongeait dans ses souvenirs. Bientôt, elle fut atteinte d’une maladie, et Aimah ne put rien faire pour la soigner, si ce n’est l’apaiser par son pouvoir. Qu’il s’agisse de la douleur ou de moment de plus grande démence lorsqu’elle se rapprocha de l’agonie.
Epuisée, victime d’insomnie à cause de son don et de son inquiétude pour sa mère, elle dut se résoudre à lui dire adieu lorsqu’elle se retrouva un beau matin devant son corps sans vie. Ce fut la pluie qui l’accueillit lorsqu’elle creusa sa tombe et il lui fallut attendre longtemps avant qu’un rayon de soleil ne vienne caresser à nouveau sa peau. A ce instant, sa mère avait déjà sa sépulture, et déjà, insouciant du chagrin de son esprit, son estomac criait famine. Ce fut désillusionnée qu’elle reprit son chemin vers le Dôme.
Car c’était tout ce qu’il lui restait désormais.
***
Chapitre III – Rencontres
Ce fut alors que le soir tombait qu’Aimah rencontra un couple qui semblait fort lié l’un à l’autre. Elies Sigstan et Nasria Shard. Un homme qui lui sembla bon au premier abord, et une jeune femme qui aurait très bien pu être sa grande sœur. Ce qui la marqua sans doute dans le visage de Nasria fut sa douceur et sa bonté, puisqu’elle accepta très facilement que la brunette se joigne au groupe. Aimah ne s’était pas faite prier, non sans un pincement au cœur, puisqu’elle les avait abordé volontairement. Elle avait faim, était morte de fatigue, voguait sans savoir quoi faire pour rejoindre le Dôme et retrouver son père. Alors quand elle les avait vus, tous seuls, Aimah avait décidé de tenter sa chance. Encore plus quand elle avait vu qu’ils semblaient amicaux et ouverts… Elle n’avait rien à perdre, s’était-elle dit, même si cela signifiait les voler et être malhonnête face à tout ce qu’il pouvait lui offrir.
A ce titre, ce fut sans doute le moment le plus serein et le plus culpabilisant de son existence. Serein car elle pouvait enfin reparler avec d’autres personnes, découvrir leurs existences, ne plus être seule, même l’espace de quelques heures. Culpabilisant car Aimah n’avait pas oublié son projet de voler leurs réserves. Et son objectif devenait de plus en plus pesant au fur et à mesure qu’elle connaissait le couple, surtout son aînée aux cheveux d’or.
Pourtant, cela ne l’arrêta pas. La jeune femme était déterminée à survivre. Elle ne pouvait s’arrêter là, et elle mit finalement son plan en œuvre alors que qu’elle croyait ses deux nouveaux « amis » endormis. La seule chose fut qu’Elies la rattrapa, ce qu’elle n’avait pas vraiment prévu. Il lui parut clair, cependant, que rester avec eux plus longtemps était mort, et Elies alla d’ailleurs clairement dans ce sens. Il lui en voulait – ce qui était parfaitement compréhensible – et sans doute se méfiait-il déjà de la survivante depuis le départ. Ce qui lui fit le plus mal, néanmoins, fut de voir la déception dans les yeux de Nasria. Sentiment qui la poussa sans doute à rapidement fuir dans les ombres, à éviter son regard, à disparaître de ses yeux.
Depuis, si Aimah se répète qu’elle le faisait pour survivre, elle ne peut s’empêcher de se sentir coupable et de vouloir se rattraper auprès de ce couple, si l’occasion s’y présente. D’autant qu’ils veulent aussi pénétrer dans le Dôme… Et elle ne peut pas rejeter l’hypothèse d’y aller peut-être avec eux. On est plus fort ensemble que tout seul, après tout.
Ce fut finalement une dernière rencontre qui changea probablement le destin de la jeune femme. Thoris Lenald, qui intercepta une de ses tentatives désespérées de rejoindre le refuge où se trouvait son père. Elle a du mal à comprendre sa résistance vis-à-vis du dôme, mais à défaut de ne pouvoir y entrer, Aimah s’est finalement laissée convaincre qu’elle pouvait rester avec lui, ne fût-ce qu’un temps.
Depuis, elle survit tant bien que mal. En n’oubliant ni Nasria, ni Elies, et encore moins son objectif de retrouver son père pour savoir ce qu’il s’est réellement passé quand il pénétra dans Hélion.
Survie éphémère à la lueur des étoiles,
Dôme lointain aux promesses éphémères,
Espoir.